L’Acadie du Nouveau-Brunswick et les immigrants francophones. Un modèle d’intégration économique par les marges
Auteurs :
Leyla Sall et Benoit Bolland
Référence bibliographique :
Reference :
Sall, L. et Bolland, B. (2021). L’Acadie du Nouveau-Brunswick et les immigrants francophones. Un modèle d’intégration économique par les marges. Revue européenne des migrations internationales, . 37(1), 67-90. https://doi.org/10.4000/remi.18139.
Résumé
Dans le cadre de la Semaine nationale de l’immigration francophone, cette étude met en lumière les défis et paradoxes de l’intégration économique des nouveaux arrivants francophones en Acadie du Nouveau-Brunswick. Devenue communauté d’accueil par le droit et le militantisme, l’Acadie cherche à concilier préservation identitaire et inclusion réelle. L’analyse révèle que, malgré des politiques d’ouverture, l’accès à l’emploi demeure limité par la prédominance de l’anglais, le manque de ressources institutionnelles et les inégalités raciales dans certains secteurs. Cette recherche invite à repenser les modèles d’intégration pour que les communautés francophones minoritaires puissent pleinement reconnaître les immigrants comme partenaires du renouveau linguistique et économique.
Dans le cadre de la Semaine nationale de l’immigration francophone
Dans le cadre de la Semaine nationale de l’immigration francophone, ce résumé de recherche présente une étude importante sur les expériences vécues par les nouveaux arrivants francophones qui s’établissent en Acadie, au Nouveau-Brunswick. Cet article examine les façons dont les communautés comptant un nombre croissant d’immigrants francophones peuvent trouver un équilibre entre la préservation culturelle et l’inclusion économique et sociale significative.
Les Faits saillants
Contexte et question de recherche
Cette étude explore comment l’Acadie du Nouveau-Brunswick, devenue une communauté d’accueil grâce au plaidoyer et à la reconnaissance juridique, gère l’intégration économique des immigrants francophones.
La principale question de recherche est la suivante :Quel modèle d’intégration économique l’Acadie offre-t-elle aux nouveaux arrivants francophones, et dans quelle mesure ce modèle s’aligne-t-il sur ses aspirations politiques et culturelles d’ouverture?
Bien que l’Acadie soit officiellement reconnue comme une communauté d’accueil, l’étude examine si elle dispose réellement des institutions, des ressources et de la capacité nécessaires pour soutenir l’intégration des nouveaux arrivants francophones, surtout dans un marché du travail francophone restreint.
Méthodologie
Cette étude de recherche a utilisé une approche qualitative combinant des entrevues semi-dirigées et une analyse documentaire. Soixante-dix-huit participants ont été interviewés pour cette étude, réalisée à Moncton. Les participants provenaient de France, de Belgique, du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne.
Principaux constats
L’étude identifie d’abord une incomplétude institutionnelle persistante dans les mécanismes d’intégration économique de l’Acadie. La capacité d’une communauté à intégrer avec succès les nouveaux arrivants dépend fortement de sa complétude institutionnelle, c’est-à-dire de sa capacité à offrir des services, des emplois et des structures de soutien dans sa propre langue.
L’étude a constaté que l’Acadie est confrontée à une incomplétude institutionnelle persistante pour les immigrants francophones, principalement en raison du manque de services institutionnels offerts en français. La connaissance de l’anglais est presque toujours une exigence pour réussir professionnellement, même dans des environnements officiellement francophones. Les nouveaux arrivants interrogés ont déclaré qu’il est presque impossible de progresser dans leur carrière sans un bon niveau d’anglais.
D’autres exemples d’incomplétude institutionnelle qui nuisent à une intégration réussie incluent le fait que, bien que certaines localités aient été désignées comme villes d’accueil pour les immigrants francophones par le gouvernement fédéral, elles disposent de très peu de pouvoirs délégués, d’autonomie et de ressources pour créer un modèle d’intégration adapté à la réalité spécifique de l’Acadie.
L’étude souligne également un modèle fragmenté d’intégration, façonné à la fois par des contraintes structurelles et par des hiérarchies sociales internes dans la région. Comme l’Acadie n’a pas de contrôle direct sur les politiques d’emploi ou d’immigration, l’intégration économique et sociale est influencée par un mélange complexe de facteurs, notamment la reconnaissance des diplômes, les perceptions sociales et la segmentation du marché du travail.
L’article a identifié trois dynamiques principales :
- Le modèle d’assimilation classique : s’applique principalement aux immigrants européens (notamment de France et de Belgique), qui ont tendance à obtenir des emplois stables grâce à la similarité de leurs parcours culturels et éducatifs.
- Le modèle d’assimilation segmentée : indique que les immigrants racisés, en particulier ceux d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne, font face à davantage d’obstacles à l’emploi et à la reconnaissance de leurs qualifications.
- Le modèle du marché du travail secondaire : montre que de nombreux immigrants se retrouvent dans des secteurs à bas salaire et à forte intensité de main-d’œuvre, tels que la transformation des fruits de mer, l’agriculture, l’hôtellerie, la restauration et les soins de longue durée, des secteurs souvent évités par la main-d’œuvre locale.
Pourquoi cette réalité des enseignants immigrants est essentielle pour tous les intervenants
Toutes ces dynamiques ont créé une réalité où de nombreux immigrants francophones sont exclus des principaux secteurs professionnels de la communauté acadienne, notamment l’éducation et la santé. Dans le domaine de l’éducation, la recherche met en évidence une croyance implicite selon laquelle seuls les « Acadiens de souche » seraient les porteurs légitimes de la culture acadienne, créant ainsi une barrière invisible pour les enseignants immigrants malgré leur francophonie. Dans le secteur de la santé, bien que ce domaine offre théoriquement des possibilités de recrutement francophone, il demeure largement inaccessible aux immigrants formés à l’étranger, en raison de discriminations persistantes dans l’accès aux stages et d’une reconnaissance limitée des diplômes étrangers.
En fin de compte, les auteurs décrivent un modèle d’intégration économique par les marges. Exclus des professions centrales de leur communauté d’accueil, les immigrants francophones s’intègrent à travers des marchés du travail périphériques ou secondaires, souvent dans des emplois temporaires ou de statut inférieur. En raison de ces obstacles, beaucoup choisissent de s’établir au Québec, où l’alignement entre la langue, la culture et les possibilités d’emploi est plus fort. Ce phénomène met en lumière le paradoxe d’une Acadie accueillante en principe, mais limitée dans sa capacité à favoriser une inclusion économique réelle.
Conclusion
L’étude conclut que, bien que l’Acadie du Nouveau-Brunswick soit officiellement devenue une communauté d’accueil, elle manque de la capacité institutionnelle, économique et linguistique nécessaire pour remplir pleinement ce rôle. En pratique, les immigrants francophones s’intègrent à travers une marginalité économique, au sein d’une communauté minoritaire qui cherche elle-même à préserver son identité dans un environnement majoritairement anglophone.
Pistes de réflexion pour les politiques et les pratiques
Pour passer d’une inclusion symbolique à une intégration réelle, les communautés francophones minoritaires doivent renforcer leurs capacités institutionnelles dans les domaines de l’emploi, de la formation et de la reconnaissance des acquis. Elles doivent aussi s’attaquer aux inégalités raciales dans l’accès aux emplois professionnels, développer des filières économiques francophones au-delà des emplois de subsistance et reconnaître les immigrants comme des acteurs à part entière du renouveau francophone, plutôt que comme une simple réponse aux pénuries de main-d’œuvre.